[mise à jour du 12/11/15] : la présentation de la deuxième édition de ce marathon de Bordeaux vient d’avoir lieu. Et on peut constater que les retours sur la première édition, dont ceux de cette note, ont été pris en compte : départs décalés entre le semi et le marathon pour éviter le mélange des rythmes, parcours plus fluide, etc. Alors un grand bravo pour cette écoute. On pourra dire que ce 2ème marathon de Bordeaux a été « co-construit » avec ses utilisateurs !
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C’était parti pour être une belle fête ce « premier marathon nocturne » de France…mais voila quand le marketing et le politique sont trop gourmands, c’est le sport qui trinque. Et l’e-réputation du premier cru de ce Marathon Bordeaux Métropole aussi.
[ndr. J’ai participé à ce marathon, je l’ai terminé. Je l’ai donc vécu de l’intérieur.]
Quelques jours avant le départ, quand le journal Sud-Ouest a publié le parcours sur son site, la blague qui tournait sur les réseaux sociaux c’était : « dis donc, le gars qui a dessiné le parcours avait la maladie de Parkinson ou quoi ? ». Effectivement, boucles et « bisquouettes » dans la ville de Bordeaux semblaient au programme. Moins de 24 heures après l’arrivée, les réseaux sociaux parlent en majorité de couacs, de problèmes d’organisation, de chronométrage défaillant mais aussi de « super bénévoles ». Les organisateurs et leurs soutiens se taisent. Bref, la fête est en partie ratée vue des réseaux sociaux. Tentative d’explication.
Ce Marathon de Bordeaux Métropole est né sous le signe de la politique. Nous sommes avant les municipales, Alain Juppé (Maire de Bordeaux) et Vincent Feltesse (Président de la Communauté Urbaine et opposant de Juppé à la Mairie de Bordeaux) se marquent à la culotte. Dès que l’un annonce quelque chose, l’autre présente la même mais en mieux. Ainsi, pendant quelques mois, on aura deux Marathons programmés dans l’agglomération bordelaise : le Juppé et le Feltesse. Les municipales renversent Vincent Feltesse, Alain Juppé remporte la Mairie et l’Agglomération : le Marathon Bordeaux Métropole peut enfin s’installer, seul et unique. Le parcours prévoit d’ailleurs une grande incursion sur une commune de l’agglomération : Pessac. Et ce choix n’est pas anodin puisqu’il s’agit de la commune dont le Président de la Région Aquitaine (PS) a été le maire (sa ville quoi), récupéré par un candidat de l’UMP. Un marathon très politique donc.
Pour l’organiser, on fait appel à des spécialistes du marketing du sport : le groupe Lagardère via sa filiale Sportfive. Et là, on est parti pour la fête du marketing et du concept. Le Marathon Bordeaux Métropole sera nocturne (c’est beau une ville la nuit), il sera ouvert au plus grand nombre avec des systèmes de relais (marathon à 2 ou à 4). On est à Bordeaux, Bordeaux c’est le vin, alors on passera dans des Châteaux (ça tombe bien il y en a à Pessac…). Et puis, on va ajouter à tout ça un semi-marathon pour faire masse. Et vous ne savez pas, la stratégie mise en place fonctionne à plein régime ! L’organisateur prévoyait 7 000 participants, il en aura 19 000 ! Et ce quelques jours après le Marathon de Paris. Avec un dossard moyen à 50 euros, cela fait donc une recette de 950 000 euros sans compter les sponsors (Nissan qui donne son nom à l’épreuve notamment).
Jusque là tout va bien. Sur les réseaux sociaux, tout le monde s’emballe. Les participants postent des photos de leur dossard, se donnent rendez-vous sur la ligne de départ. Une belle fête en préparation.
Et si on parlait sport maintenant. Il est 19 heures 50 ce samedi 18 avril. Je suis dans le sas D (3h45). Il pleut depuis une heure. Je refais mes lacets pour la 18ème fois. Alain Juppé est au micro. Il est un peu dépité par le temps « Marathon pluvieux, marathon heureux » lance-t-il. Côté participants, on s’en fout. Un marathonien n’a que faire de quelques gouttes de pluie quand il sait qu’il va affronter le mur des « 30 kil ». On part, ça bouchonne un peu mais c’est commun sur un événement massif comme celui-là. Puis le rythme est pris. Il y a une foule incroyable ! C’est une belle fête populaire. Chaque coureur est venu avec ses accompagnants. Le cours Victor Hugo au kilomètre 7 est une véritable haie d’honneur. Les bénévoles à chaque croisement nous encouragent, nous applaudissent. Quelle belle course ! Puis nous arrivons dans les châteaux voulus par le marketing. Et là patatras. Il a plu, ce n’était pas prévu par le marketing « bisounours ». On va dire que Bordeaux et son climat océanique ne sont peut-être pas enseignés dans les grandes écoles de commerce. Bref : boue, mauvais éclairage et ça commence à grogner chez les coureurs.
Marketing suite. Au 26ème kilomètre. Ce moment, à quelques kilomètres près où le marathonien rentre dans sa coquille et commence à mettre en place des routines : rythme, place au sein d’un groupe, imitation d’une foulée….Mode robot pour oublier les souffrances. Et là, c’est cadeau ! On te balance sur le même tracé la foule du semi-marathon partie une heure et demie plus tard et qui donc entame elle, son 7ème kilomètre. Ah la belle image de foule ! Mais quel procédé anti-sportif ! Tu commences ton parcours de souffrance avec autour de toi des joggeurs du dimanche qui viennent se faire un peu mal avec un semi. Ca papote sur toute la largeur de la route, ça freine, accélère, pousse, traverse…HORRIBLE. Comment peut-on accepter quand on organise des événements sportifs humilier ainsi des marathoniens ? Leur parcours aurait dû être sanctuarisé. Vous imaginez la fin du Vendée Globe et au large des Sables d’Olonnes des milliers de petits voiliers qui terminent la course avec les participants au Tour du Monde. Vous n’êtes pas dans le même rythme, la même souffrance. Vous avez envie de tuer ces promeneurs. Le tout dans des rues trop étroites pour cette foule énorme.
Sur les réseaux, quelques heures plus tard ces problèmes sont relevés. Les commentaires sont plutôt négatifs sous les articles de Sud-Ouest ou sur Twitter. On découvre en plus un problème de chronométrage pour le semi essentiellement. La société responsable sera la seule à prendre la parole pour assumer, s’excuser, expliquer. Une petite boîte du Loiret, Top Chrono, qui connait bien le milieu de la course à pied et qui comprend l’immense frustration. Côté marketing et politique, c’est le silence.
Côté SportFive par exemple, le dernier tweet est un retweet du 18 avril, le jour de la course.
Vraiment une super course que cette édition du @MarathonBDX . J’en ai pris plein les yeux! Public au top, orga géniale. Magique!!!
— Pensées by Olivia ✏️ (@Penseesbyolivia) 18 Avril 2015
Que faire pour la prochaine édition ?
– Prendre en compte le client principal d’un marathon : le coureur.
– Séparer le marathon et le semi-marathon.
– Séparer les coureurs en relais des autres (un mec frais au 32ème kilomètre qui te pousse dans le dos, même si tu es l’héritier de Gandhi tu as quand même un peu envie de lui cisailler les mollets.)
– Si vraiment on ne peut limiter le nombre de participants utiliser les grands axes au détriment des monuments et petits quartiers typiques.
Et si c’est possible, faire assez vite un mea culpa sur l’organisation de cette première édition parce que sinon, il risque d’y avoir beaucoup moins d’engouement pour 2016.
[Edit du 22 avril] Les organisateurs ont donc répondu en milieu d’après-midi via une interview au journal Sud-Ouest.
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